Gorée, l'«île-mémoire»

L’île de Gorée, au large de Dakar, est un de ces lieux hors du temps qui confrontent brutalement à l’Histoire. Cette brutalité là reflète le racisme et l’impérialisme qui rongeaient un continent africain meurtri par l’esclavage, encore perpétré il n’y a pas si longtemps par des gouvernements colonisateurs venus d’Occident.

Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO depuis 1978, l’île de Gorée est aujourd’hui un site touristique qui symbolise la traite négrière en Afrique, et la réconciliation. Pourtant, avant d’être convoité et protégé, ce territoire a souffert longuement de la politique colonialiste menée par les puissances occidentales. 

Gorée, île aux esclaves 

Retour au XVe siècle. Le portugais Dinis Dias est le premier à atteindre l’île en 1444, qu’il baptise « Palma » : s’en suivent des siècles mouvementés durant lesquels les Britanniques, les Néerlandais, les Français et les Portugais se disputent son gouvernement. Il faut dire que Gorée est idéalement située : sur la côte Ouest de l’Afrique, à 20 minutes de Dakar, elle ouvrait de grande possibilités commerciales avec le continent, tout en étant un lieu facile à défendre. La détenir était alors hautement stratégique : pendant trois siècles, Gorée fut un des centres concentrationnaires d’esclaves africains, permettant de les faire transporter vers l’Amérique (par sa petite superficie, 0,182 km2, il faut rappeler que Saint-Louis était le principal centre). Les historien·ne·s estiment qu’entre 900 et 15 000 personnes ont été déportées depuis l’île entre 1726 et 1848, année de l’abolition de l’esclavage. 

Gorée, île aux touristes 

Deux versants peuvent, et doivent, être traités s’agissant de l’exercice du tourisme sur l’île. Comme dit précédemment, le premier s’accorde à considérer Gorée comme un lieu de mémoire pour tous·tes, un pèlerinage pour les africain·ne·s, une sorte de « plus jamais ça ». Et pour se souvenir de l’horreur, il faut la voir : sur place, plusieurs monuments et habitations sont d’époque, et laissent entrevoir l’horreur passée de l’esclavage. La Maison des Esclaves, fondée en 1776, est sûrement le monument le plus célèbre, grâce à son authenticité : à l’intérieur, les minuscules cellules dans lesquelles les esclaves étaient entassé·e·s, et la porte dite du « voyage sans retour », vers les embarcations. Sur la côte, les touristes peuvent admirer les nombreuses maisons colorées, mais ce regard est nécessairement à désenchanter : ces structures appartenaient aux colons, les mêmes qui déportaient et séparaient des familles entières. 

Se profite alors le second versant : derrière la forte attraction touristique de l’île se cache sa population sédentaire. Si la démographie de Gorée est plutôt faible (1 800 habitant·e·s en 2018), il n’empêche que des personnes y habitent, formant une véritable communauté. Impossible de considérer que les 500 000 touristes qui débarquent sur leurs côtes chaque année ne ternissent pas leur quotidien, tant ils contribuent à la pollution et à l’abîme d’un territoire d’ors et déjà largement délaissé économiquement par l’Unesco. 

Gorée, île en danger ?  

C’est la conclusion de la réalisatrice française Béatrice Soulé dans un article publié sur Jeune Afrique, le 30 août 2022. L’île de Gorée, qu’elle affectionne particulièrement, est en train de tomber en ruine. La maltraitance exercée sur place n’est pas, ou plus, dirigée vers les humain·e·s qui pavent son sol, mais bien vers son patrimoine, délaissé. Les goréen·ne·s « font de Gorée une île vivante », mais sont à la fois constamment menacés d’expulsion, tandis que les traversées depuis Dakar se multiplient. Des solutions sont pourtant proposées, comme l’augmentation des financements du ministère de la Culture, de l’Unesco, et la mise en place de quotas de fréquentation. Pour l’instant, vaines. 

 

Flora Gendrault