Arades : agir localement, imaginer globalement
Si les étudiant·e·s de Paris 8 ont appris quelque chose à Saint-Louis, c’est que la journée commence tôt. La grasse matinée n’est pas démocratisée : dès 8 h, le boulevard Cheikh Ahmadou Bamba voit se réunir hommes et femmes pour acheter, et vendre, le poisson pêché à l’aube. De notre côté, nous sommes moins résilient·e·s : jeudi 16 mars, alors que le trajet en bus de la veille, d’une durée de 6 h, a mis à rude épreuve la fatigue qui s’était accumulée à Dakar, il faut pourtant mobiliser ses forces et se projeter dans la journée. Cette dernière promet d’être riche en émotion : nous avons trois rencontres de prévues.
Le groupe s’enthousiasme de rencontrer en début d’après-midi Marion Boyer, directrice du centre chorégraphique « Le Château », a des étoiles dans les yeux en pensant à la visite nocturne du Musée de la photographie, mais a surtout conscience de l’importance de notre première destination. Arrivé·e·s la veille, nous n’avons pas encore été confronté·e·s à l’insalubrité et la pollution des rues de la ville, mais nous sommes déjà curieux·se·s des actions locales entreprises pour tenter de préserver l’environnement. Pour nous répondre, une association majeure et essentielle de Saint-Louis : Arades.
À Paris 8, et notamment en communication, beaucoup sont engagé·e·s dans une association, et œuvrent pour défendre des causes qui leur tiennent à cœur : les inégalités entre les hommes et les femmes ; la préservation de l’environnement ; la mise en avant des producteurs et artisans locaux. Arades, l’Association pour la Recherche-Action Développement et Environnement au Sahel, c’est un peu des trois : direction le quartier Ndilofene pour que Abibatou Fall, sa présidente, nous présente ses missions.
Après nous avoir installé·e·s dans ce qui semble être la salle de réunion des membres de l’association, Abibatou n’est pas encore disponible : Alioune B. Fall, spécialisé dans la gestion des eaux et l’économie circulaire à Arades, et membre de l’Association zéro déchet Sénégal, prend la parole.
Alioune commence par nous présenter l’association, laquelle existe depuis un certain temps et intervient dans une multiplicité de domaines. Cette organisation à but non lucratif a été créée en 2012, et a pour objectif d’intervenir dans les énergies renouvelables, l’énergie domestique, la promotion de l’environnement vert, la protection de l’environnement, l’éducation et la valorisation des produits locaux et de l’artisanat à Saint-Louis. Un programme massif, presque gouvernemental : au Sénégal, la société civile prend en charge les activités décentralisées dans lesquelles le gouvernement n’investit pas de moyens. Les ambitions d’Arades l’illustrent parfaitement.
L’association se focalise sur trois volets : un volet recherche, en faisant du terrain, organisant des visites pédagogiques, des panels et des conférences ; un volet communautaire, en intervenant dans différents espace pour favoriser les échanges et la sensibilisation sur la justice climatique, l’entreprenariat vert, l’artisanat ; enfin, un volet sur les industries créatives, pour favoriser l’innovation saint-louisienne et faciliter le quotidien de ses habitant·e·s.
Particulièrement pédagogue, expert dans la gestion des eaux et des déchets, Alioune nous en apprend plus sur les moyens d’action du territoire en la matière : cette gestion est décentralisée au niveau des communes. L’État a toutefois créé en 2011 l’Unité de Coordination de la Gestion des déchets solides (UCG), organisme privé censé être le bras technique des communes pour appuyer leurs compétences. Il existe ainsi deux types de collectes à Saint-Louis : soit par l’UCG, soit par les équipes de la commune, chargées du ramassage et du déblayage dans les trois parties de la ville (la Langue de Barbarie ; l’île coloniale ; la ville reliée au continent).
Dans la salle, les questions se multiplient : plus Alioune expose les pratiques opérées en matière de collecte de déchets, plus nous constatons les inégalités qui règnent dans le territoire. Sur l’île coloniale, vitrine de la ville, les habitants qui sortent les poubelles savent que la municipalité va prendre en charge leurs déchets : ce n’est pas le cas à 500 mètres, sur la Langue de Barbarie, où l’on observe des amas d’ordures dispersés dans toute sa longueur. C’est ici en priorité qu’Arades intervient : l’association fait de la pré-collecte, recueille les déchets au niveau des ménages et les emmène dans les sites de transit gérés par UGC ou la municipalité.
C’est ensuite au tour d’Abibatou d’intervenir : grâce à un exposé très riche et complet, nous avons pu avoir une vision d’ensemble de Saint-Louis, son passé colonial, ses enjeux économiques, environnementaux, sociétaux… Et notamment la situation de ses pêcheur·euse·s. En octobre 2003, à cause des inondations qui sévissent à la fin des années 1990, l’État ordonne de creuser une brèche de quelques mètres dans la péninsule, à 7 kilomètres de Saint-Louis. Problème : la brèche fait 4 mètres en 2003, contre 8 kilomètres 20 ans plus tard. Cet élargissement progressif a créé des changements environnementaux et humains inquiétants : villages engloutis, érosion côtière, naufrages, et impact sur la pratique de la pêche. Alors que le poisson était débarqué le soir sur la plage, il faut désormais remonter le fleuve, jusqu’aux nouveaux quais construits à cet effet.
Sur une note plus positive, Abibatou nous évoque avec affection les innovations qu’elle insuffle auprès de femmes formées pour concevoir. Le plus grand succès d’Arades : le panier thermique, un autocuiseur qui permet de conserver la chaleur des repas. Plusieurs mets peuvent être laissés à l’intérieur pendant 12 h à 24 h : une aide précieuse pour les habitantes de Saint-Louis (au Sénégal, la charge de la cuisine pèse encore majoritairement sur les femmes). Ce produit, qui plus est, est écologique puisqu’il fonctionne grâce à l’énergie produite par le soleil. Arades leur apprend également à faire du savon, de la couture, et à fabriquer tout type de matériel : l’association répond ainsi à son objectif d’autonomisation des femmes.
Les questions étaient presque inépuisables, et notre échange avec Abibatou et Alioune aurait pu durer jusqu’au soir si nous n’avions pas un programme chargé devant nous. Ces sujets ont particulièrement suscité notre intérêt, puisqu’ils sont concrets et terriblement actuels : ils ont d’autant plus résonné en nous après deux jours passés dans la ville, durant lesquels nous avons pu observer les inégalités de richesse entre les quartiers et la pollution qui sévit. Arades, à son échelle, est un acteur majeur des bouleversements actuels et à venir à Saint-Louis, cette ville classée au patrimoine mondial de l’Unesco, pleine de richesses.
Flora Gendrault