La figure du griot

L’histoire des griots est liée à celle de l’empire mandingue fondé au XIIIe siècle. L’histoire raconte que le roi Naré Maghann Konaté offre à son fils, le futur empereur Soundiata Keita le griot Balla Fasséké, qui en relatera les hauts faits. Dans un contexte où l’écriture était quasiment inexistante, les familles griotiques deviennent dépositaires de la tradition orale. Ces castes endogames se spécialisent en fonction de leur habilité dans l’art oratoire, la pratique musicale ou l’histoire du pays et la généalogie. A la fois historien, confident du roi et médiateur social, le griot occupe une place privilégiée qui lui permet de recevoir dons et récompenses. D’autre part, les croyances locales accordent une valeur sans équivalence à la parole. Le pouvoir magique attribué à cette dernière peut guérir, rapprocher des divinités, éloigner le mail comme l’approcher de soi, que ce soit à des fins meurtrières ou d’envoûtements. Mais surtout, dans la société, elle détient le pouvoir de renforcer les liens interpersonnels !

Griots, musiciens du haut Sénégal, 1890. NY Public Library, digital collections

Pourtant, les siècles de colonisations européennes vont affaiblir le pouvoir des griots qui détenaient des prérogatives politiques, intellectuelles et artistiques importantes. Si, dans les années 1950, le rôle du griot était encore d’animer localement sous l’arbre à palabres, les années 1960 marquent la prise d’indépendance du Sénégal qui s’inscrit comme plusieurs pays africains francophones dans un système démocratique. En découle alors des évolutions sociétales et l’éclosion d’une floraison de médias privés dans un contexte de libéralisation de l’espace médiatique. Le rôle traditionnel des griots retrouve une nouvelle jeunesse par la massification de la télévision et de la radio : de maître de cérémonie des assemblées populaires, sous l’arbre à palabres à la figure moderne du « griot-journaliste ».

Les journalistes, comme les griots, détiennent une diversité de rôles et fonctions. Ils portent une mémoire collective puisqu’ils écrivent, rapportent et diffusent l’information, créant ainsi du lien social. Journalistes comme griots ont la possibilité de se placer en intermédiaires pacifistes par exemple, pour régler des conflits politiques. Par ailleurs, l’opulence traditionnelle des griots a donné naissance à un nouveau mouvement dans le domaine journalistique : le « mimétisme griotique ». Proche de la pratique traditionnelle du griot maître de cérémonie », les journalistes et animateurs développent un nouveau rapport à l’argent et aux biens matériels. Ils se permettent par exemple des demandes de soutiens financiers auprès de sponsors et « d’amis » ou des indemnités de transports pour leur venu à un évènement. Pourtant contrairement aux journalistes, les griots-journalistes sont moins intéressés par le fait d’avoir un emploi et un salaire fixe mais plutôt par la possibilité de diffuser les louanges de leurs « sponsors » au plus grand monde.

Bebey, Francis. Le ministre et le griot. Roman. France, Éd. Sépia, 2008

Les griots qui viennent à travailler dans les médias sont recrutés pour animer des émissions de sport, culture ou religion. Les chaînes font alors appel aux vécus et la notoriété des griots plus qu’à leurs compétences intellectuelles. D’ailleurs, on les retrouve dans la présentation d’annonces (évènements et nécrologies) ou de publicités.

Ainsi, nous voyons comment les pratiques griotiques ont traversé les siècles. Les griots ont su préserver leurs traditions pour s’adapter aux changements socio-économiques et innovations technologiques. L’espace médiatique sénégalais est de ce fait marqué par cette mutation des griots mais aussi des journalistes, impactant la scène publique des médias, mais également la scène privée. Nous pouvons également en déduire combien le pouvoir des pratiques culturelles orales prospère dans la société sénégalaise depuis presque 10 000 ans. Face à la massification de l’utilisation des réseaux sociaux, quelles mutations les familles griotiques connaîtront-elles à l’avenir ?

 

Clarysse Pourfillet et Lucie Letourneau