Pedro Freire : un premier film entre confession et fiction
Le mardi 1er avril à 14h, nous nous sommes rendus au Cinéma Estação Net Rio, un
complexe de cinq salles situé à Botafogo, pour assister à la projection du film Malu, réalisé
par Pedro Freire, avec qui nous avons eu l’immense chance d’échanger après la projection
du film.
Avec Malu, Pedro Freire réalise un premier long métrage extrêmement personnel, où la
frontière entre la vie privée et la fiction devient poreuse. Le film, inspiré de la vie de sa mère,
l’actrice brésilienne Malu Rocha, est une œuvre à la fois touchante et rigoureusement
construite, dans laquelle le réalisateur se livre sans jamais tomber dans l’autofiction
simpliste.

Un parcours bâti par l’expérience
Formé à l’école de cinéma de Cuba, Pedro Freire a acquis des compétences techniques
grâce aux nombreux courts métrages qu’il a réalisés, souvent financés de sa poche. Passé
par le poste de directeur de casting, qu’il considère comme une école précieuse pour la
réalisation, il s’inspire de la méthode de Stanislavski, qui met en priorité l’émotion
authentique dans le jeu d’acteur. Cet intérêt pour le jeu est visible dans Malu, où les actrices
portent excellemment le poids émotionnel du récit.
Une histoire familiale universelle
“Je voulais que mon premier film parle de ma mère.” Cette volonté a guidé Freire dès le
départ. Pourtant, il ne s’est pas représenté à l’écran, par peur d’imposer une image biaisée
de lui-même. Le personnage de Joana, la fille de Malu dans le film, est un mélange de sa
sœur et lui, et les autres personnages, comme l’ami de Malu, sont eux aussi des condensés
de plusieurs figures réelles. Ce choix lui a permis de garder une certaine distance critique,
tout en rendant l’histoire plus universelle, recentrée sur les dynamiques
intergénérationnelles entre trois femmes.
Le film se déroule dans une tension familiale constante : Malu vit avec sa mère, très
conservatrice, et accueille sa fille Joana qui rentre de son voyage en France, ce qui réveille
des blessures du passé. L’histoire est extrêmement personnelle. Certaines scènes, comme
celle de la dispute violente sous la pluie, sont directement inspirées de la vie réelle.
Cependant, Pedro Freire a mené un vrai travail de discernement entre ce qui relevait du
besoin thérapeutique et ce qui servait la narration cinématographique. Il a notamment
montré le scénario à ses proches et intégré les retours de sa femme, qui lui reprochait de ne
pas avoir montré la part lumineuse de sa mère. Pour y remédier, il a interviewé des amis de
Malu, qui n’avaient connu que sa douceur, sa générosité, sa force.
Une mise en scène modeste
Le film, produit par Tatiana Leite, est volontairement modeste dans sa forme : tourné en trois
semaines, avec un budget restreint, Malu privilégie l’humain au spectaculaire. La caméra à
l’épaule, l’image en 4:3, le grain brut : tout concourt à créer un sentiment de proximité,
presque d’intrusion. L’inspiration de John Cassavetes se ressent dans ce cinéma de l’intime.
Le choix du format 4:3, plus qu’esthétique, représente la claustrophobie de Malu, son
enfermement mental, mais aussi son désir inavoué de jouer pour la télévision. Quant à la
lumière, elle s’assombrit progressivement à mesure que le conflit familial s’intensifie, et ne
retrouve une certaine clarté qu’au moment où Joana apprend que sa mère est mourante.
Cette révélation apaise enfin les tensions.
Une direction d’acteurs précise
Freire a dirigé ses actrices avec une exigence rare. Il leur a laissé le temps d’habiter les
rôles : trois semaines de répétitions sans apprendre les répliques, pour que le jeu arrive
d’une situation vécue, et non récitée. Ce n’est qu’après cet entraînement qu’il a modifié les
dialogues, enrichis d’improvisations. L’actrice principale n’a visionné une interview de la
véritable Malu Rocha qu’à la toute fin, pour éviter un simple mimétisme, que Freire n’aurait
pas trouvé intéressant. Ce processus a permis une incarnation d’une grande justesse.
À travers Malu, Pedro Freire parvient à transformer une histoire personnelle en récit
universel, où se jouent les traumatismes transgénérationnels, les tensions entre générations
et les aspirations brisées. Malu ne se contente pas de raconter : il partage, il confie, il émeut.
C’est là tout le pouvoir du cinéma.
Aïcha Benzerga