Cazé et Negro Muro : peindre l’héritage noir du Brésil

Le 31 mars 2025, nous rencontrons Cazé, street artist carioca, originaire de Rio de Janeiro. Son projet, Negro Muro, entrepris avec son ami Peter Rajao, met en lumière depuis 2018 les figures afro-brésiliennes, invisibilisées dans l’Histoire.

Photos tirées de la rencontre avec Cazé, le 31 Mars 2025

Figure culturelle et artistique brésilienne, Fernando Cazé peint depuis de nombreuses années les réalités sociales qui l’entourent sur les murs des villes qu’il traverse. Installé dans un atelier (« Fabrica Behring ») dans le quartier de Santo Cristo, Cazé s’inspire des artistes avec qui il travaille et expérimente son art dans une vraie bulle de création au cœur de sa ville. Dans cet atelier, on retrouve des muralistes, des sculpteurs, des graffeurs ; c’est un lieu riche en propositions artistiques ou l’entraide et le travail en équipe sont les maîtres-mots.

C’est à cet endroit, en 2018, que Cazé et Peter Rajão — acteur majeur de la reconnaissance de la culture populaire à Rio — imaginent un projet en mémoire de l’héritage noir au Brésil : « Negro Muro ». Son symbole réinterprète celui du mouvement Black Lives Matter, en y intégrant une bombe de peinture entre les doigts. Par ce geste, les deux artistes s’inscrivent d’emblée dans la continuité des luttes pour la reconnaissance et la valorisation des populations noires. « Cartographier la négritude de la ville » en mettant en scène différentes figures de la culture afro-brésiliennes sur les Murs de Rio ; voilà le message artistique et politique qu’ils veulent porter. Aujourd’hui, 69 murs illuminent la ville de leaders noirs invisibilisés par la société. Selon Cazé, peindre ces corps et ces visages, et les mettre en mouvement dans la ville est déjà un acte politique. En les faisant se déplacer sur les murs, ils occupent un espace qu’ils n’ont jamais habité auparavant.

Dans la zone nord de Rio, à l’entrée du traditionnel GRES Caprichosos de Pilares, une école de samba mythique à Rio, on retrouve le portrait de Sandra de Sá, représentante majeure de la musique noire africaine. En peignant cette figure afro-brésilienne dans l’espace public de Rio, Cazé ne se contente pas de célébrer une figure locale. Puisqu’elle est la petite-fille d’un cap-verdien, issu d’une ancienne colonie portugaise, l’artiste muraliste affirme une mémoire transatlantique, souvent occultée, et revalorise l’africanité du Brésil au cœur de son urbanité. Cette démarche s’inscrit comme un acte de résistance symbolique face aux héritages du colonialisme européen, en rendant hommage aux racines africaines du Brésil, dans un espace qui leur a longtemps été nié.

L’histoire culturelle et sociale du Brésil est unique, plus de 50 pourcent de la population du pays est afro-descendante. C’est dans ce contexte particulier qu’on observe un tel attrait pour la reconnaissance des minorités au Brésil. Le pays a fondé son identité sur la colonisation et l’esclavage. Par conséquent, la volonté d’émancipation des minorités se place comme naturelle et constitutive d’un devoir de mémoire nécessaire. Pour autant, les logiques d’émancipation de la condition noire ont aussi un écho important en France. Cazé a lui-même eu l’opportunité de créer sur les murs de la capitale française. En 2022 il réalise une fresque à Belleville. Son œuvre, nommée Traversée, dépeint les habitants du quartier de Belleville. La fresque évoque l’immigration et le parcours des habitants noirs du quartier.

Traversée, Cazé – 2022

Il est marquant de saisir tout l’enjeu du travail de Cazé qui, bien au-delà de la question de reconnaissance au Brésil, traduit le besoin de reconnaissance partagée par les communautés noires à l’international. Cazé ne se limite pas à mettre en valeur des figures noires brésiliennes, il étend son travail à la condition des noirs de différents pays. Le travail de l’artiste s’en trouve magnifié, Cazé se place comme un acteur d’une lutte contemporaine progressiste aux valeurs humanistes et égalitaires.

En concordance totale avec le projet de Cazé, l’exposition “Paris Noir” au centre Pompidou rend hommage à plus de 150 artistes noires du monde entier ayant travaillé entre 1950 et 2000. Cette exposition participe elle aussi à la mise en lumière des artistes noirs, trop souvent marginalisés. Un pas de plus vers la reconnaissance. L’exposition continue jusqu’au 30 juin 2025.

Par Roman Gautier et Erwan Gerspach

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