Abaporu : Dévorons la Culture
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Comment comprendre le Brésil sans connaître Abaporu ?
Un après-midi, dans le métro, nous sommes tombés face à une affiche d’Abaporu mentionnant une exposition sur sa peintre. La peinture nous a frappés et nous avons décidé de creuser son histoire.
Imaginée par l’artiste peintre brésilienne Tarsila do Amaral en 1928, l’œuvre aux couleurs du Brésil est un symbole emblématique du pays. Elle s’ancre dans les mouvements du modernisme et de l’anthropophagisme brésiliens, très influents dès la fin des années 1920 jusqu’aux années 1950.
L’œuvre tire son nom des langues issues des Tupi et Guarani, peuples natifs amérindiens. Elle signifie “l’homme qui mange les gens”. Ce titre d’une violence effarante nous a évidemment questionné sur le message artistique mis en avant par Tarsila. La réponse se trouve dans l’analyse du mouvement anthropophage qui fait référence au cannibalisme. Ici, l’artiste ne nous invite pas à manger nos compères et consœurs mais plutôt à ingurgiter ce qu’il y a de bon dans les cultures étrangères. Selon elle, façonner sa propre culture nécessite de s’imprégner de ce qui nous entoure. Pour cela, le choix d’un pigment orangé sur la peau du personnage, au pied
aussi gros que l’ego de Bolsonaro, revient à mettre en avant la diversité ethnique du pays, avec des origines africaines et amérindiennes.
Vectrices à la fois d’un mouvement indépendantiste, les couleurs du drapeau brésilien sont réaffirmées dans ce tableau avec la trace de jaune, de bleu et de vert. Ce message s’inscrit dans un contexte d’émancipation artistique patriote face aux influences européennes aliénantes jusqu’ ici.
Ce n’est d’ailleurs pas la seule forme d’aliénation présente dans le tableau. La disproportion des pieds et des mains représente les souffrances de l’ouvrier brésilien qui utilise excessivement la force manuelle. A contrario, la tête minuscule critique la dévalorisation du travail intellectuel. Le cactus fait également référence à une forme d’aliénation. En poussant dans les régions arides du brésil, la plante comme l’homme doivent survivre là où la terre est ingrate et les conditions de vie difficiles. Ce choix artistique reflète les influences que le marxisme a eu sur les mouvements modernistes et anthropophages.
Finalement, ce message politique, fondateur de l’identité brésilienne reprend du poil de la bête depuis la réinvestiture de Lula et ses décisions politiques en faveur de la culture.
Aujourd’hui, Abaporu se trouve au musée de l’art latino-américain de Buenos Aires. Un comble, pour un pays dont le président, Javier Milei, ne porte pas le multiculturalisme dans son cœur.